Bosch et Van Gogh : vers une contemporanéité des œuvres du passé grâce aux réalités virtuelle et augmentée

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L’art a toujours été propice à la réinterprétation, la réédition et au réemploi. Il s’avère que ces méthodes sont exploitées et surexploitées depuis quelques dizaines d’années maintenant. En effet, nous pouvons voir dans tous les domaines artistiques un renouveau d'œuvres du passé qui se distinguent à plusieurs niveaux :

- Dans un premier temps il va y avoir les reboots et adaptations. Nous pouvons par exemple noter les différents King Kong, La Planète des Singes
- Le réemploi qu’on retrouvera davantage avec le found footage, qui peut entrainer des détournements hasardeux des images : comme dans The State of Decay de Bill Morrison (2002)
- Dans un troisième temps il va y avoir les remakes qui sont des copies parfois conformes : dernièrement Intouchables, mais aussi Fonzy réalisé dans 3 pays ou encore Psychose avec les adaptations filmiques et sérielles.

Le remake de Gus Van Sant de Psychose nous montre que le réemploi des œuvres d’arts peut créer un monde plus dense de l’univers fictionnel de base par des procédés d’étendues transmédiatiques. Nous pouvons en effet noter quelques exemples qui touchent à différents médias.

Psychose : tout d’abord le film de Hitchock, puis Psychose 2, 3. Puis des téléfilms qui incluent le presquel Psychose 4. Des téléfilms comme Bates Motel également en 1987, puis Bates Motel la série, et des citations avec la maison hantée dans les parcs Disneyland, mais aussi l’emploi de cette maison chez les Simpson, les Looney Tunes. Enfin, notons le film sur Hitchcock sorti en 2013.

Le Lac des Cygnes : différents opéras et ballets, ainsi que des films modernes et classiques et des animations.

Alice au pays des merveilles : Plusieurs adaptations en film (x7), en animation (x4), en téléfilm (x5), en série (x2) et en opéra. Il y a également des jeux vidéo, mais surtout ce qui nous intéresse est la multitude de version écrites : du texte original, puis adapté, en BD, en manga, en univers étendu…

Picasso : Ce qui est étonnant à noter est qu’il en est de même pour les arts picturaux. En prenant un exemple mondialement connu comme Picasso, nous avons sa multitude de toiles, mais aussi 8 musées éponymes à travers le monde, des expositions temporaires et permanentes, puis, des livres et des BD sur sa vie, des fictions, une comédie musicale et un documentaire de Clouzot.

Cette idée de réinterprétation et de réemploi de l'art nous a rapidement orienté vers des questions contemporaines avec l’arrivée des nouvelles technologies. Qu’en est-il aujourd’hui de l’adaptation plus contemporaine d’œuvres classiques grâce à ces nouveaux dispositifs et les moyens qu'elles permettent pour la diffusion et l'expérimentation des œuvres ? Comment ces nouvelles technologies nous offrent une relecture contemporaine d'œuvres du passé ? Nous souhaitons donc orienter nos recherches sur l'apport de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée dans la contemporanéité des œuvres classiques, en l’occurrence l’art pictural, qui est un art en deux dimensions, immobile et sans aucune utilisation des procédés sonores qui peuvent rajouter de la consistance à une œuvre.

« On voudrait maintenant tenter de saisir une forme artistique qui, dans le cadre d’une installation multimédia, analyse le hors champ, au moyen de technologiques récentes (…) décrire les capacités propres à l’art des nouveaux médias de « virtualiser » une forme originellement cinématographique » (Bluminger, 2013, p.344) avec un « Déplacement du regard et mise en réseau des espaces » (Bluminger, 2013, p.354)

Pour ce faire nous allons nous recentrer sur deux peintres qui ont entrainé différents projets dans ces deux types de réalité : Van Gogh et Bosch.

1. La réalité augmentée.
Dans un premier temps nous allons voir comment, à travers l'exposition IMAGINE VAN GOGH présentée à La Villette (France) en 2017, puis à Montréal en 2020, la réalité, à priori augmentée, des œuvres de Van Gogh les contemporanéise ? Rappelons que cette exposition est créée par Annabelle Mauger et Julien Baron.

Ce que ça entraine de différents avec l’exposition classique :
- Absence de tableaux réels
- Création d’animation où l’on voit la toile être peinte. On est donc finalement dans une réécriture de l’acte pictural avec des immenses panneaux blancs qui peuvent s’apparenter à des toiles où les coups de pinceaux, virtualisés, viennent créer les toiles de Van Gogh. Cet artifice rajoute une double notion temporelle où, à l’inverse de l’exposition classique nous voyons la toile se faire, ce qui est plus long, mais cet artifice est très accéléré et primaire, ce qui est plus bien rapide que l’acte de peinture qu’a pu vivre Van Gogh. On a donc une double conception temporelle qui dans les deux cas s’éloigne de la réalité.
Christa Bluminger parle du réemploi d’image à travers le found footage comme le cinéma de seconde main. Où « l’utilisation au cinéma de matériaux « trouvés » n’implique encore aucune transformation esthétique. (…) Les transpositions du found footage dans d’autres dispositifs au-delà du cinéma [sont] des figures spécifiques de l’assemblage, du remontage et du collage [qui] ont en commun une esthétique du fragment » (Bluminger, 2013, p.11-16).

Ici en effet, le morcellement et la fragmentation des toiles est faite par ce réemploi mais ce réemploi implique une immense transformation esthétique dans ses proportions, ses dimensions, son dispositif de présentation. Le morcellement engendre des ambiances visuelles et une idée de 360°. Cela va également créer des connexions entre les différents tableaux qui n’auraient pas été forcement présentes en exposition classique.
Cela entraine à la fois une nouvelle écriture des œuvres de Van Gogh mais aussi une évolution. Il y a également parfois des surimpressions de peinture et de photo qui viennent apposer les paysages de Van Gogh peints à des paysages réels. Cela vient donner de la documentation mais aussi du réalisme a ses peintures qui parfois, par ses touches, s’éloignent du réalisme. Ce morcellement entraine également une idée de la représentation de son esprit, confus et débordant, avec les surimpressions de ses lettres, de ses croquis de ses tableaux, où le temps devient finalement éclaté à travers les différents panneaux. Il y a donc ici, en plus du travail des commissaires dans des expositions classiques, un travail de montage d’œuvres et de rythmes, avec la musique qui est là pour rajouter l’immersion des spectateurs.

Nous avons par la multitude de toiles blanches et leurs tailles une idée de totalité et de complexité de l’œuvre de Van Gogh qui ressort, où la totalité est plus que la somme de ses parties. Comme une loupe artificielle pour mieux voir les textures qui ne sont malgré tout pas réelles. Il faut donc passer par l’artificialité pour y voir en détail du naturel de la toile et de la matière.

- Parfois l’Homme est à la bonne taille parfois il est de la taille d’une souris comparativement à ces toiles.
- Également, comme les expositions classiques, ici les spectateurs ont une liberté de parcours, cependant ils peuvent toucher les toiles / panneaux, et même les faires s’onduler en les secouant.
On note donc plusieurs points intéressants qui se distinguent des expositions classiques qui semblent donner plus d’immersion mais aussi de détails aux spectateurs, ce qui est étonnant car il y a finalement une absence complète des œuvres réelles.

2. La réalité virtuelle
LA TENTATION DE SAINT ANTOINE, de Carlos Franklin, propose cette fois-ci une toile en réalité virtuelle dans une expérience de 6min30. Cette expérience de Carlos Franklin de 2016 est une œuvre en 360 3D VR stéréoscopique qui a gagné 3 prix dans des festivals 3D (Angoulême, Shangai, Liege) et qui est une coproduction Les Poissons Volants avec Arte, le Grand Palais et le réseau Canopé. Cette œuvre utilise toutes les caractéristiques de l’œuvre en VR : un casque, des écouteurs, une montage et mixage son 360. En version française, cette expérience est narrée par l’actrice Clémence Célarié.

Franklin propose un circuit à l'intérieur de l'œuvre. Le spectateur, en immersion totale, déambule dans les différents lieux du tableau mais sans aucun contrôle, il se laisse guider. Les petites scènes qui composent le tableau sont alors animées par des mises en mouvement. Cela, tel l’expérience de Van Gogh, fait également écho avec la citation d’Aristote où la totalité est plus que la somme des parties. En effet, par cette mise en mouvement le tableau animé devient un paysage tridimensionnel où notre vision humaine ne nous permet pas de tout voir en même temps. Il faut alors tourner la tête pour ne pas manquer certaines scènes. Un spectateur immergé n’aura alors jamais accès à cette vue écrasée du 360. Cela favorise ainsi une totalité des scènes plus importantes que la somme de celles-ci. La tentation de Saint-Antoine se transforme en une ballade onirique et poétique pour le spectateur, où cependant la question de l’esthétisme est remise en jeu. En effet, plusieurs points se distingue :
- Cela aurait pu être une expérience refaite en animation à 100% mais l’auteur a préféré mettre seulement quelques objets / personnages mouvants pour favoriser l’ambiance très pictural avec les fonds et les ciels qui ne bougent pas et qui mettent en avant la matière de la peinture.
- De plus, alors que les projections des toiles de Van Gogh renvoyaient des scans des toiles, ici nous sommes face à une réécriture complète des personnages avec un aspect très contemporain, moderne, virtuel. Ici tout a été re-dessiné. On est donc dans le réemploi et la contemporanéité à la fois de diffusion mais aussi dans le design, ce qui va plus loin que l’expérience en AR de Van Gogh. Cela propose finalement une relecture des personnages par Franklin.
- Également, les points de vue sont mouvants, nous sommes dans le tableau et nous en sortons, nous sommes au niveau du sol et dans les airs. L’expérience permet l’immersion pour ressentir ce que tout type de personnages et de spectateurs ressentent face à ce tableau. Cela permet alors, tel ce que nous avons vu dans l’expérience de Van Gogh, une augmentation de la réalité, avec plus de détails, par l’absence total de réalisme et de réalité étant donné ce monde fictionnel.

Ainsi, à travers ces deux exemples qui proposent deux types de réalités nous pouvons distinguer différents points :

Oppositions :
Van Gogh : On est dans le réemploi avec des procédés contemporains de diffusion. L’œuvre est en train de se faire, il y a une accumulation des toiles et l’expérience se fait en communauté. Parfois, les toiles sont altérées par l’Homme (bouger les panneaux, les ombres), elles proposent également un processus de relecture pour le spectateur grâce à la mise en rythme sur des musiques classiques.
Bosch : On est dans l’adaptation avec des procédés contemporains de diffusions. L’expérience est solitaire. Bien qu’étant une adaptation, elle est refaite de A à Z par la création des mouvements des scènes mais aussi le design. Le style visuel, avec la création d’une musique et d’une voix off, rajoute de la consistance à l’œuvre.

Points Communs :
On est dans les deux cas face à une immersion avec la proposition d’une nouvelle architecture pour changer le rapport du spectateur à la taille de l’œuvre. Nous sommes face à la création de nouveaux espaces réels favorisés par l’artificialité.
« Si l’on considère les configurations de l’image qui, au-delà de la photographie et du cinéma, ne cherchent plus à actualiser le cinéma mais à conduire, dans un système numérique, vers de nouvelles spatialités, de nouvelles voies et de nouvelles mises en réseau, on pourrait alors parler (…) d’une post-image du cinéma. Cette post-image s’inscrit à l’intérieur d’un espace virtuel dans lequel les images peuvent, sans limites, se dissoudre, se former, se transmettre » (Buci-Glucksmann, 1996, p.166-67) Cela entraine également une mise en mouvements dans les deux cas, ce qui met alors en scène de nouveaux créateurs et auteurs de l’ombre. Également, dans les deux cas nous sommes face à une suppression de la matière officielle et réelle pour recréer les textures avec encore plus de détails. On est alors face à l’idée d’une présentation qui propose une totalité des œuvres par l’ajout de mouvements de transition, de musique, et parfois de voix, qui les cinématographies et qui fait de ces arts bidimentionnels et uniques des arts tridimentionnels et totaux.

Finalement, a-t-on besoin de perdre la réalité de l’objet pour la redécouvrir et pour gagner en détail, en réalisme ? Il semblerait que oui. Où « une particularité du virtuel est de se présenter comme un « être intermédiaire » entre objet et événement, entre chose et image » (Diodato, 2011, p.151). Il faut finalement dépasser la peinture par le non réel (projection sur des panneaux, casque de VR) pour découvrir davantage de réalisme pictural. Cela entraine un double processus en cercle où il faut mettre du contemporain dans l’art du passé pour redécouvrir ces pièces d’art et il faut finalement utiliser des références anciennes pour apprécier les dispositifs contemporains.

L'interaction de l'art du passé et des technologies du présent entraine une contemporanéité de l'œuvre et favorise une proposition plus totale de l’objet face à la technique d’exposition classique qui ne proposait que la somme des différentes parties des artistes.